Les entreprises souhaitent de plus en plus aller vers des développements de produits alimentaires intégrant non seulement leur stratégie d’entreprise mais également les attentes des consommateurs et les préoccupations environnementales. Dans la littérature, il existe, aujourd’hui, différentes méthodes permettant de travailler sur ces thématiques mais de manière indépendante. L’originalité de ce travail de thèse de Chloé THOMAS, réalisée à l’ESA d’Angers et soutenue le 15 juin 2020, est la mise en œuvre simultanée d’une approche consommateurs et d’une démarche d’éco-conception. Ainsi, la thèse aboutit à une recommandation de processus d’innovation et d’outils associés pour maitriser l’éco-quali-conception des produits alimentaires. Ce travail de recherche a été mené sur le développement de produits à base de spiruline.
Méthodologie :
Le point de départ des travaux de cette thèse est un processus d’innovation de type Stage-gate ®en cinq étapes, au cours desquelles, des outils d’aide à la décision (de type grille multicritères), d’écoute des consommateurs (test de concept, co-création itérative, test consommateur), et d’évaluation environnementale (analyse de cycle de vie) ont été utilisés en parallèle.
La figure 1 présente le processus tel qu’il a été réalisé pour les développements de produits à base de spiruline.

La première étape d’idéation permet la génération d’idées de futurs produits. En amont, une séance d’imprégnation a été réalisée permettant, à chaque participant de cette séance d’idéation, d’avoir le même niveau d’informations par rapport au marché, à la stratégie de l’entreprise et aux tendances de consommation. A l’issue de cette première étape, un grand nombre de préconcepts est obtenu, un premier tri est alors réalisé et le choix se porte, dans ce cas d’étude, vers des produits « coup de cœur » ou ayant un taux de faisabilité dans l’entreprise important. Pour finir cette étape d’idéation, une grille multicritères (35 critères pondérés), contenant des aspects environnementaux (analyse du cycle de vie), des aspects de marché et des aspects de faisabilité économique, est utilisée comme outil d’aide à la décision pour la priorisation des préconcepts sélectionnés.
La seconde étape est une phase de conceptualisation. Elle consiste à rédiger des fiches marketing pour les préconcepts priorisés lors de l’étape d’idéation. Ces concepts marketing sont une description globale des caractéristiques et bénéfices d’un préconcept pour répondre à des attentes d’une cible de consommateurs. Deux focus groups par concept ont été réalisés afin de valider auprès des consommateurs le passage à l’étape suivante de développement après quelques ajustements si besoin pour répondre au mieux à leurs attentes.
La troisième étape est un développement itératif et co-créatif. Les prototypes issus de l’étape de conceptualisation ont été réalisés par l’entreprise, testés par les consommateurs, réajustés par l’entreprise en fonction des remarques émises lors des focus groups, représentés au groupe de consommateurs jusqu’à obtention d’un produit satisfaisant (dans ce cas précis, 3 itérations ont permis d’aboutir aux concepts finaux). L’entreprise ne pouvant développer tous les prototypes intéressants, des analyses environnementales et une grille multicritères ont été menés en parallèle sur ces prototypes afin d’aider l’entreprise à prioriser les développements.
Ensuite intervient une étape de validation à deux niveaux. Le premier est une validation par des consommateurs naïfs n’ayant jamais rencontrés ou n’ayant jamais participés à la cocréation des produits. Cette validation qualitative permet de prévoir l’appréciation des produits et de pouvoir apporter des modifications si besoin. Le second niveau est une évaluation quantitative sur le produit et son emballage par le biais d’un test consommateurs en conditions contrôlées (ici, 190 personnes).
Enfin, intervient l’étape de lancement sur le marché des produits validés par ce processus.
Résultats :
Au cours de l’étape d’idéation, une quarantaine de préconcepts ont été obtenus après une première étape de tri, 8 préconcepts ont été présélectionnés. Ensuite une autre sélection à l’aide des outils d’ACV et de grilles multicritères ont permis à l’entreprise de conserver 3 préconcepts.
Au cours de l’étape de développement, la sensorialité de la spiruline a été travaillée par mélanges avec d’autres aliments pour devenir acceptable pour les consommateurs. Les résultats généraux de ces focus groups montrent que la couleur verte de la spiruline modifie fortement l’ensemble du produit, qui est davantage accepté s’il est composé d’ingrédients verts (e.g. concombre) en raison de la congruence sensorielle. La texture collante disparait dans la matrice, ainsi que l’odeur. Les arômes de la spiruline sont perçus faibles ou apparaissant en fin de dégustation. Après trois itérations entre le focus group et la R&D, environ 18 recettes ont été retenues pour chacun des 3 concepts. Finalement, la stratégie de l’entreprise a eu un impact important sur les choix des produits. Par exemple, alors qu’il était peu apprécié, un produit du concept B a été choisi pour des raisons de stratégie de gamme. A l’issue de cette étape, l’entreprise a retenu 2 à 3 recettes par concept. Ce développement co-créatif a permis de tester et surtout d’adapter les prototypes aux attentes de consommateurs ciblés.
Pour la première étape de validation, 18 consommateurs naïfs ont participé aux focus groups. Les résultats présentés se concentrent sur le premier concept pour lequel une modification du packaging a été apportée à la suite des remarques du groupe, des réserves ont également été émises sur la couleur verte des produits notamment. Les produits ont bénéficié du regard neuf des consommateurs « naïfs » pour améliorer encore les produits.
La seconde étape de validation regroupant un panel de 190 consommateurs a permis de mettre en évidence une bonne acceptation du premier concept : 70% d’intention d’achat, avec une réserve sur une des deux recettes, à cause de la couleur verte en décalage avec la couleur du produit original. Globalement, pour le premier concept, la recette 1 obtient un score de 5.5 +/-2 et la recette 2 un score de 6.9 +/-1.5.
Globalement, ce test hédonique a confirmé statistiquement les tendances observées en focus group de validation. De plus, les questions ouvertes (qualités, défauts) permettaient d’expliquer ou supposer les raisons de certains écarts de notes d’appréciations.
Conclusion :
Comment combiner la stratégie d’une entreprise, les attentes des consommateurs, et les enjeux environnementaux, dans un processus d’innovation de produits alimentaires ?
En mettant en lien ces trois dimensions tout au long du processus d’innovation grâce à une méthodologie claire, courte et agile comme le Stage-gate®, combinée à un outil d’aide à la décision multicritères structurant et à des interactions fréquentes entre les consommateurs, les équipes R&D et marketing de l’entreprise et l’environnement.
Ce processus d’innovation apporte des pistes opérationnelles et méthodologiques pour les entreprises agroalimentaires qui souhaitent innover durablement. Les résultats obtenus lors de la seconde étape de validation en test hédonique confortent l’intérêt de cette méthodologie dans le développement de produits alimentaires innovants.
Cette méthodologie a, pour le moment, été testée sur un seul cas d’étude et devra être adaptée à chaque contexte d’entreprise et d’innovation.
Références :
Posters :
- Adoption of a disruptive food : a qualitative survey on organic consumers’ representations and perceptions of Spirulina, november 2018, Chloé THOMAS1, Ronan SYMONEAUX1, Gaëlle PANTIN-SOHIER2, Pierre PICOUET1, Isabelle MAITRE1*, 1 USC 1422 GRAPPE – INRA, Groupe ESA, SFR QUASAV, 49007 Angers, France, 2 GRANEM
- Sustainable consumer-driven process applied to food product innovations : an empiric study, July 2019, Chloé THOMAS, Isabelle MAITRE *, Pierre PICOUET, Ronan SYMONEAUX, USC 1422 GRAPPE – INRA, Groupe ESA, SFR QUASAV, 49007 Angers, France, *i.maitre@groupe-esa.com
Conference paper :
- Des perceptions variées de la spiruline à la co-création d’un produit avec les consommateurs, october 2019, Chloé Thomas*, Ronan Symoneaux, Pierre Picouet, Isabelle Maître**, USC 1422 GRAPPE, Ecole Supérieure d’Agricultures (ESA), SFR 4207 QUASAV, INRA, Université Bretagne Loire, 55 rue Rabelais, 49007 Angers, France, * : c.thomas@groupe-esa.com ** : i.maitre@groupe-esa.com
Articles :
- Perceptions of spirulina from French consumers of organic products, may 2020, Chloé Thomas1, Ronan Symoneaux1, Gaëlle Pantin-Sohier2, Pierre Picouet1, Isabelle Maître1*, 1 Contractual Unit 1422 GRAPPE, INRAE, Ecole Supérieure d’Agricultures (ESA), Federative Research Structure 4207 QUASAV, Angers, France, 2 Angevin Research Group in Economics and Management (GRANEM), Training and research Unit in law, economics and management, Angers University, Angers, France,*i.maitre@groupe-esa.com, HAL Id:hal-02615769, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02615769
- Implementing LCA early in food innovation processes: Study on spirulina-based food products, may 2020, Journal of Cleaner Production 268:121793, Chloé Thomas1, Ronan Symoneaux1, Cécile Grémy-Gros2, Aurélie Perrin3, Isabelle Maître1, 1 Contractual Unit 1422 GRAPPE, INRAE, Ecole Supérieure d’Agricultures (ESA), Federative Research Structure 4207 QUASAV, Angers, France, 2 Unisersity of Anger, 3 EVEA